Correspondance échangée entre Lord Brougham et M. Adolphe Crémieux, Ministre de la justice de la Republique française , au sujet de sa demande de naturalisation. 7Avril - 12 Avril 1848.

Lettre écrite par Lord Brougham au Ministre de la justice en France.

Paris, 7. Avril 1848.

Lord Brougham a l'honneur d'offrir ses hommages à M. le ministre de la justice, et voulant se faire naturaliser en France, il a demandé des certificats au Maire de Cannes (Département de Var), où il a résidé depuis treize ans, et où il possède une propriété et s'est fait bâtir un château.
Ces certificats-là doivent être expédiés tout droit à M. le Ministre, et Lord Brougham le prie de vouloir bien faire passer l'acte de naturalisation dans le plus court délai possible.

Réponse de M. Crémieux Ministre de la justice.

Paris, 8 Avril 1848.

Mylord,

Je dois vous avertir des conséquences qu'entraînera, si vous l'obtenez, la naturalisation que vous demandez. Si la France vous adopte pour fini de ses fils, vous cessez d'être Anglais, vous n'êtes plus lord Brougham, vous devenez le citoyen Brougham. Vous perdez à l'instant tous les titres nobiliaires, tous les privilèges, tous avan tages, de quelque nature qu'ils soient, que vous teniez soit de votre qualité d'Anglais, soit des droits que vous conféraient jusqu'à ce jour les lois ou les coutumes an glaises, et qui ne peuvent se concilier avec notre loi d'égalité entre tous les citoyens. Il en serait ainsi, Mylord, même quand les lois anglaises n'auraient pas cette rigueur à l'égard des citoyens anglais qui demandent et obtiennent leur naturalisation en pays étranger. C'est dans ce sens qu'il faudra m'écrire.
Je suppose bien que l'ancien lord chancelier d'Angleterre sait les résultats nécessaires d'une demande aussi importante; mais il est du devoir du ministre de la justice de la république française de vous avertir officiel lement. Quand vous aurez formé une demande renfermant ces déclarations, elle sera immédiatement examinée.

Agréez,...
Ad. Crémieux.

Seconde lettre de Lord Brougham adressée à M. Adolphe Crémieux.

Londres, ce 10 Avril 1848.

Monsieur le ministre,

J'ai l'honneur d'accuser la réception de votre obligeante lettre du 8.
Je n'ai jamais pu douter qu'en me faisant naturaliser comme citoyen français, je devais perdre tous mes droits de pair anglais et de sujet anglais en France ; je ne garderai mes privilèges d'Anglais qu'en Angleterre ; en France, je dois être tout ce que les lois de France accordent aux citoyens de la république.
Comme je désire avant tout le bonheur des deux pays et leur paix mutuelle, j'ai cru de mon devoir de donner la preuve de ma confiance dans les institutions française, pour encourager mes compatriotes anglais à s'y fier comme moi.

Recevez,...
H. Brougham.

Réponse du Ministre français.

Paris, le 12 Avril 1848.

Mylord,

Ma lettre n'a pas été bien comprise ; la votre ne me permet pas, à mon grand regret, de statuer sur votre demande. Vous me Faites l'honneur de m'écrire:
"Je n'ai jamais pu douter qu'en me faisant naturaliser comme citoyen français, je devais perdre tous mes droits de pair anglais et de sujet anglais en France. Je ne garderai mes privilèges d'Anglais qu'en Angleterre; en France, je dois être tout ce que les lois de France accordent aux citoyens de la république."

J'avais mis dans ma lettre les expressions les plus claires et les plus positives. La France n'admet pas de partage, elle n'admet pas qu'un citoyen français soit en même temps citoyen d'un autre pays. Pour devenir Français, il faut que vous cessiez d'être Anglais; vous ne pouvez être Anglais en Angleterre, Français en France; nos lois s'y opposent absolument ; il faut nécessairement opter. C'est pour cela que j'avais pris soin de vous ex-pliquer les conséquences de la naturalisation.

En l'état donc, et tant que vous voudrez rester Anglais en Angleterre, c'est-à-dire tant que vous ne voudrez pas abdiquer complètement et partout votre qualité de sujet anglais, et l'échanger contre celle de citoyen français , il m'est impossible d'accueillir votre demande.

Agréez,...
Ad Crémieux.

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